L'EQUIPE du 3 Novembre 1997.



Par Jacques CARDUCCI.

LA SOLITUDE DU CHAMPION!

Pete Sampras est sur une autre planète. Et on ne voit pas qui, parmi ses adversaires, pourrait l'y rejoindre. Mais cette solitude est dangereuse. Elle peut en effet également déboucher sur une forme de lassitude.

La plupart des grands champions l'ont reconnu : pour faire monter l'adrénaline, pour repousser davantage les frontières du possible, oublier la banalisation du quotidien, atteindre leur maximum, ils on besoin d'une vraie rivalité. Dans le tennis notamment, les stars font depuis longtemps la paire. Ainsi, depuis une vingtaine d'années, il y eu successivement Connors et Borg, Borg et McEnroe, McEnroe et Lendl, Becker et Edberg, Sampras et Agassi ou Courier.

Aujourd'hui, il y a Sampras et... Sampras. On ne peut donc mettre en cause la sincérité de ses propos quand il regrette, comme il le fit avant Wimbledon, l'absence d'André Agassi, "indispensable au tennis" et d'abord à lui-même. Ou encore quand il dit à Bercy que Boris Becker va lui manquer, ne serait-ce que dans le souvenir des monuments que furent l'an passé leurs finales de Stuttgart et du Masters. Or, un champion vit surtout pour ça. Pour ces moments privilégiés, pour ces grands chocs seuls susceptibles de tirer de lui-même ce qu'il a de meilleur.

Ou est-elle aujourd'hui la concurrence pour Sampras? Edberg a voilà un an, tiré sa révérence, Becker, qui a déjà mis son avenir entre parenthèses, ne va plus tarder à l'imiter, Courier a été fauché en pleine gloire par le doute, écrasé par le poids des responsabilités, et Agassi semble définitivement inscrit aux intermittents du spectacle.

Derrière, il y a un tas de bons joueurs, de candidats aux accessits mais pas aux prix d'honneur. Un tas de bons joueurs comme Kafelnikov, grognon après sa demi-finale, car persuadé qu'il aurait pu gagner, mais qui a perdu.

On ne prétendra pas, certes, que Sampras est invincible. Mais la manière dont il est parvenu ici à maîtriser des situations périlleuses en dépit d'un bras douloureux en dit long sur sa domination.

Aucun joueur n'a, comme lui, dominé le tennis de son époque. Fin décembre, il égalera le record de Connors en bouclant sa cinquième année au premier rang du classement mondial, avant de probablement le battre l'an prochain. Depuis le 12 avril 1993, ou pour la première fois il devenait numéro 1, il a occupé le trône 84% du temps, quand Lendl et Connors, qui le précédent encore sur la durée, avaient dû, respectivement, se satisfaire de 70% et de 58%.

Non, ce n'est pas un hasard si Pete Sampras est presque unanimement considéré comme le meilleur joueur de tous les temps. Il sait tout faire. Extraordinaire pur-sang, dont il est difficile de soupçonner la rapidité, la vélocité, la souplesse sous ses apparences de percheron.

Maintenant, à défaut de cette motivation procurée par un rival de son sang, il reste ce grand rendez-vous avec l'histoire que le docteur Fisher, son premier entraîneur, a donné à l'adolescent paresseux. Avec dix titres de Grands Chelem, il n'est plus qu'à une victoire de Borg et de Laver, à deux d'Emerson. Et il n'a que vingt-six ans.