L'EQUIPE du 26 Aôut 1997.



Par Jacques CARDUCCI.

ETERNELS DIAMANTS!

La mémoire a souvent tendance à embellir le meilleur des morceaux qu'elle a choisis. Partant de là, mieux vaut imaginer que revoir.
On en faisait la triste constatation lors du dernier Wimbledon, quand la pluie imposa à la BBC, pour meubler un gros vide d'actualité, une très instructive rétro. Très franchement, Laver, Newcombe, Rosewall étaient plus grands dans nos souvenirs. Quant au fameux tie-break de la finale de 1980 entre Borg et McEnroe, monument de tennis, figé à jamais dans les livres d'histoire, ce fut une surprise - oh ! trahison - de constater qu'il était fait de plus d'erreurs que de coups gagnants.

Ce n'est pas pour autant qu'on reniera, ne serait-ce que l'espace d'un instant, ce que jadis on a si fort adoré.
En fait, le sport, même lorsqu'il est assujetti au chronomètre, aux records, ne devrait se conjuguer qu'au temps présent. Rien ne pourra jamais ressusciter une émotion. Et Brel savait très bien qu'il se trompait quand il chantait qu' " on a vu souvent rejaillir le feu de l'ancien volcan qu'on croyait trop vieux ".
Notre feu à nous, il a la chance de ne jamais s'éteindre, d'embraser pour toujours nos souvenirs.

Aujourd'hui, beaucoup prétendent que Pete Sampras est le meilleur joueur du siècle. C'est peut-être vrai. Mais sur quels critères sérieux peut-on s'appuyer pour comparer à travers le temps ce qui de toute évidence est sans dénominateur commun? Comment faire honnêtement la part entre ce qui appartient aux dons et au talent, et les progrès venus de l'évolution des méthodes de préparation et de l'amélioration des conditions matèrielles?

Carl Lewis a-t-il été supérieur à Jesse Owens ou bien l'inverse? Jim Montgomery, quand il brisa le mur des 50 secondes sur 100 mètres nage libre en 1976 à Montréal, fit-il mieux que Johnny Weissmuller - Tarzan de notre enfance - lorsuq'il avait été le premier homme à descendre sous la fatidique minute? Et, pour se faire provocateur, est-on certain que Bubka, monsieur 6 mètres, franchirait comme Warmerdam, 4,70 m avec une perche en bois? Quant à Suzanne Lenglen, légende du tennis féminin, que ferait-elle avec son revers arachnéen et ses poses de danseuse contre la violence des joueuses de maintenant?

Faux débat. L'important est d'être le meilleur de son époque, de la marquer suffisamment pour entrer à jamais dans cette éternité qui, depuis toujours, est, par exemple, le rêve d'un Sampras. Avec une victoire ici, Sampras rejoindrait Borg et Laver et ne serait plus qu'à un titre de Roy Emerson, recordman heureux de victoires dans les tournois du Grand Chelem. Si Sampras dépossède un jour l'Australien, il offrira une preuve palpable d'une apparente supériorité, le reste, forcément, demeurera subjectif.