L'EQUIPE du 30 Mai 1996.



Par Jacques CARDUCCI.

UN CHAMPION, C'EST CA!

On ne sait pas ce que sera, le 9 Juin, la finale.

Mais, comment l'imaginer plus belle, plus contrastée, plus chargée de suspense, plus attrayante, plus poignante que le combat de titans qui a, hier, rendu encore plus admirables Pete Sampras et Sergi Bruguera.

Le premier pour avoir su dépasser sa fatigue et repousser ses limites. Le second, pour n'avoir jamais cédé au découragement et s'être peu à peu hissé au niveau du numéro 1 incontesté du tennis.

Et c'est très sincèrement qu'on avouera avoir été davantage séduit ce mercredi par l'espagnol qu'à l'occasion de ses deux finales gagnées.

Il fallait en effet etre un joueur d'une trempe exceptionnelle pour revenir à hauteur d'un Sampras qui, deux sets durant, avait produit un des plus beau tennis qu'on ait jamais vu sur terre battue.

Peut-être le plus beau depuis les deux premiers sets de Mc Enroe dans la finale de 1984, avant que l'américain ne soit entrainé par Ivan Lendl, dans un marathon qu'il ne pouvait plus remporter.
D'ailleurs, c'est immédiatement à Mac et à sa grosse désillusion qu'on pensa quand Sampras laissa échapper le troisième set au tie-break.

A Mac et aussi à Noah, qui a toujours dit qu'il n'aurait jamais battu Wilander en 1983 s'il lui avait fallu disputer un quatrième set.

Mais on eu tort de douter, meme momentanément, de Sampras, de son mental, de son moral.

Il sut en effet rassembler les restes d'une confiance qui s'effilochait, oublier des jambes devenues soudain bien lourdes pour lancer, dans le cinquième set, une ultime charge héroique et victorieuse.

Le Dr Fischer, qui a élevé l'adolescent dans le respect de la tradition des grands australiens des sixties, pouvait être fier.

Sampras est désormais tout à fait digne de Laver, ce modèle qu'on lui avait proposé.

Peut-être ne fera-t-il jamais un Grand Chelem, beaucoup plus difficile à réussir aujourd'hui que du temps de son idole...

Mais après sa formidable démonstration, ce serait un déni de justice s'il ne parvenait pas à ajouter Roland-Garros à ses titres de Wimbledon, Flushing et Melbourne.

C'est un champion. Un vrai champion avec un énorme C.

Et non cette pâle imitation qu'est trop souvent André Agassi, décidement incapable de se rebiffer, de faire face dans l'adversité.

Un Agassi qui a perdu la patience de ses jeunes années, mais qui, ayant déjà payé, devrait savoir que la terre battue couronne les courageux et condamne les imposteurs.

L'aigle à deux têtes qui régnait, il y a encore peu sur le tennis américain n'en a aujourd'hui plus qu'une.